Quantum satis
La vie est quand même bizarre par moment. Pendant trois bons mois je n'avais pas grand chose à écrire, et le peu à me mettre sous la dent ne me satisfaisait pas, ou alors je ne savais pas comment m'y prendre pour le coucher par écrit.
Et voilà qu'aujourd'hui j'ai des sujets à la pelle, et que je ne sais plus trop où je dois donner de la tête.
Parce qu'entre autres choses, il faut que je finisse mon article sur les règles universelles qui régissent le monde, que je finisse mon article sur mon histoire de lecteur, que je finisse enfin le commentaire de la photographie d'Amélie, que je vous livre mon sentiment sur les grandes manoeuvres pour la course à la présidentielle, que je vous livre mon sentiment sur les derniers livres que j'ai dévoré avec ardeur et application cet été, que je vous livre mon sentiment sur mes relations très particulières avec les odeurs et parfums.
Une paille quoi.
Et comme il faut bien commencer quelque part, je vais vous parler du dernier sujet. Parce que ce matin, surprise, en sortant sur le palier pour aller me chercher du pain et des croissants (à quoi ça sert les vacances si on peut pas se faire plaisir avec un petit déjeuner continental de derrière les fagots ?), une odeur me saute littéralement au visage.
Et pourtant je ne suis pas quelqu'un qui est spécialement attentif aux odeurs ou aux parfums, et de ce point de vue là j'ai des lacunes. Et c'est le moins qu'on puisse dire. En fait je n'ai pas l'odorat particulièrement développé, et il n'est pas très aiguisé non plus, je suis d'ailleurs bien incapable de reconnaître les choses à leur parfum, alors vous imaginez bien que pour ce qui est des personnes c'est même pas la peine d'y penser la Bérézina. Il faut dire que j'ai des circonstances atténuantes : je suis asthmatique. Du coup, rentrer dans une parfumerie n'est jamais une bonne idée, et porter du parfum tous les jours n'est même pas envisageable.
Malgré tout, ce matin cette odeur m'a renvoyé à plein de souvenirs, et je comprends mieux pourquoi on dit que les parfums sont très souvents associés à la mémoire et comme une madeleine de Proust peuvent permettre de remettre en tête situations, personnes, lieux et autres choses tout droit issues du passé et de l'enfance par exemple. ça c'est le genre de phrases que je préfère ne même pas relire tellement elle me semble bancale et écite dans un français grammaticalement très incorrect !
Il flottait dans le couloir un parfum de Monoï, mais pas n'importe lequel non plus, il était mâtiné d'un soupçon de tiaré. Et cette rencontre ne m'a pas quitté de la journée, alors du coup je me suis dit que j'allais vous en parler et faire un petit état des lieux de ces différents parfums qui me parlent et de ce qu'ils m'évoquent immanquablement.
Donc le Monoï avec du Tiaré : Maman, bien évidemment. Je me souviens que lorsque l'on vivait à Tahiti, c'est ce qu'elle portait, elle s'enduisait régulièrement de cette huile parfumée typiquement de là-bas. Et puis c'était aussi la plus belle période de ma vie, en tout cas dans mes souvenirs. Il y a eu des coups durs aussi, avec des déceptions et l'apprentissage de la vie, de ses difficultés, les premières questions que l'on se pose sur soi, sur les autres, mais ça reste des souvenirs absolument merveilleux, magiques. Et je me souviens qu'à notre retour en métropole elle en portait encore, et qu'elle a progressivement fini les dernières bouteilles de ce Monoï Hei Poa dans laquelle flottait une fleur de Tiaré qu'elle avait pris soin de ramener. Bien sûr, elle devait essayer de le garder le plus longtemps possible, alors elle ne s'en servait plus autant qu'avant, lorsqu'il n'était pas difficile de s'en procurer. Mais n'importe comment, ce parfum me rappelle toujours Tahiti et Maman.
La bergamotte, le thé vert et le bois de santal : ma première grande histoire d'amour, vu que c'est les ingrédients principaux de CK One. Elle le portait tout le temps, sans compter tous les produits annexes, comme le lait hydratant, le gel purifiant, le déodorant... Pour moi, ça évoque l'intimité et la décontraction, quelque chose de simple et sans fioritures, une certaine idée de ce qui est sans mensonges, sans paravents. Un petit goût de l'enfance qui ne l'est déjà plus vraiment.
La fleur d'oranger et le jasmin : les vacances passées avec les amis, et les longues, très longues soirées passées à discuter, à refaire le monde, à philosopher ou tout simplement à jouer aux cartes. De ces vacances qui vous laissent des souvenirs impérissables et ce léger sourire qui flotte sur le visage lorsque l'on en revient, certes pas très reposé et dispos, mais rasséréné et plein de confiance, en soi et dans les autres. Et sur le monde en général.
Le cyprès : c'est l'odeur de mon enfance, de la cour de l'école, des premiers jeux avec les copains, de l'apprentissage des secrets de la lecture, des bons points et des blouses que l'on mettait dans le couloir. Je ne me souviens pas de grand chose de cette époque, plutôt des impressions, agréables pour la plupart, même si je sais que je me suis aussi ouvert la tête justement à cause d'un cyprès, et que l'on devait me tirer régulièrement les oreilles à cause de ma tendance certaine à l'impertinence, voire à l'insolence.
Le chocolat chaud, encore fumant : ça me refait toujours penser aux petits déjeuner de mon enfance, chez ma grand-mère, pris dans la cuisine, légérement tourné vers elle qui faisait fondre du chocolat à dessert pour simplement nous faire déjeuner. Elle parlait tout en remuant avec une cuillère en bois - le fer ça laisse un goût tout de même, disait-elle - et en se retournant de temps à autre pour nous regarder, la cuillère dans une main et l'autre sur la hanche ou dans la poche de son tablier, qu'elle portait toujours dès qu'elle se mettait à faire la cuisine, ce qui lui arrivait plus que fréquemment. Je crois bien que c'était ce qu'elle aimait le plus en fin de compte, réaliser de véritables tours de force ou des choses toutes simples, mais toujours la cuisine, juste parce que ça lui plaisait. Tout comme elle préparait des croissants, des pains au chocolat et de la brioche, pour rien, juste comme ça, pour nous gâter et nous faire plaisir. C'était un moment hors du temps, privilégié, et pour le coup, elle y a réussi pleinement, à nous faire plaisir, vu que j'en ai encore les larmes aux yeux d'y repenser un peu plus de vingt ans plus tard.
L'Iode, le sable chaud : La belle A*** comme on écrit dans les grands classiques du XIXème siècle, puisque c'est le parfum évoqué par Rem, celui qu'elle portait et qui lui correspond si bien. Quelque chose de la légereté, de la douceur. Mais pas douceureux, bien au contraire, un peu poivré qui ajoute de la profondeur et de l'authenticité au lieu de se contenter de cette douceur sucrée qui pourrait si facilement tomber dans le mielleux et le mièvre. Non, il y a ce je ne sais quoi de piquant qui donne quelque chose de solaire à cette odeur, quelque chose des embruns et de la mer aussi, qui me parle de liberté, du sud, de chez moi.
J'imagine que pour vous aussi il y a des odeurs et des parfums qui transportent, vous évoquent et convoquent une multitude de souvenirs, bons ou mauvais d'ailleurs. Non ? Faîtes-vous plaisir et racontez donc à votre confesseur évangéliste préféré en même temps c'est normal, vous devez pas en connaître des masses ce que c'est et un petit peu de ces souvenirs qui y sont liés ! C'est pas que je veuille vous forcer, mais bon, un petit peu quand même ! Allez, siouplait !